Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/98

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permettez-moi de vous présenter M. Jean Mintié, mon ami.

Elle me salua d’un gracieux et câlin mouvement de tête et, d’une voix très douce, qui me remua délicieusement, elle dit :

— Enchantée, Monsieur… mais, je vous connais beaucoup.

Pendant que, très rouge, je balbutiais quelques paroles confuses et bêtes, Lirat, narquois, intervint.

— Vous n’allez peut-être pas lui faire croire que vous avez lu son livre ?

— Je vous demande pardon, M. Lirat… Je l’ai lu… Il est très bien.

— Oui, comme mon atelier et comme ma peinture, n’est-ce pas ?

— Ah ! non, par exemple !

Elle dit cela franchement, d’un rire qui s’éparpilla dans la pièce, ainsi qu’un égosillement d’oiseau.

Ce rire m’avait déplu. Bien que le timbre en fût sonore et hardi, il tintait faux. Je ne le trouvais pas en harmonie avec l’expression si délicatement triste de cette physionomie, et puis, il me blessait à l’égal d’une insulte, dans mon admiration pour le génie de Lirat. Je ne sais pourquoi, il m’eût été doux qu’elle s’enthousiasmât pour ce grand artiste méconnu ; qu’elle montrât, à cette minute même, un jugement hautain, des sensations supérieures à celles des autres femmes. En revanche, les façons méprisantes du