Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/109

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drais tout cela qui m’était plus nécessaire pour respirer que mes poumons, pour penser que mon cerveau, pour alimenter de sang chaud mes veines que mon cœur ?… Allons donc !… J’appartenais à Clara, comme le charbon appartient au feu qui le dévore et le consume… À elle et à moi cela paraissait tellement inconcevable une séparation, et si follement chimérique, si totalement contraire aux lois de la nature et de la vie, que nous n’en avions jamais parlé… La veille, encore, nos deux âmes confondues ne songeaient, sans même se le dire, qu’à l’éternité du voyage, comme si le navire qui nous emportait dût nous emporter ainsi, toujours, toujours… et jamais, jamais n’arriver quelque part… Car arriver quelque part, c’est mourir !…

Et, pourtant, voilà que j’allais descendre là-bas, m’enfoncer là-bas, dans ce vert et dans ce rouge, disparaître là-bas, dans cet inconnu… plus affreusement seul que jamais !… Et voilà que Clara ne serait bientôt plus qu’un fantôme, puis un petit point gris, à peine visible, dans l’espace… puis rien… puis rien… rien… rien… rien !… Ah ! tout plutôt que cela !… Ah ! que la mer nous engloutisse tous les deux !…