Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/113

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criaient, s’exclamaient, s’interpellaient, braquaient des lorgnettes, des jumelles, des appareils photographiques vers l’île qui se rapprochait. Le gentilhomme normand, désignant les masses de verdures, expliquait les jungles impénétrables au chasseur… Et parmi le tumulte, la bousculade, indifférents et réfléchis, les mains croisées sous leurs manches larges, les deux Chinois continuaient leur lente, leur grave promenade quotidienne, comme deux abbés qui récitent le bréviaire.

— Nous sommes arrivés !

— Hourra !… hourra !… nous sommes arrivés !…

— Je vois la ville.

— Est-ce la ville ?…

— Non !… c’est un récif de corail…

— Je distingue le wharf…

— Mais non !… mais non !…

— Qu’est-ce qui vient là-bas, sur la mer ?

Déjà, au loin, voiles toutes roses, une petite flottille de barques s’avançait vers le paquebot… Les deux cheminées, dégorgeant des flots de fumée noire, couvrirent d’une ombre de deuil la mer, et la sirène gémit, longtemps… longtemps…