Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/205

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d’ombre de son front, voilait les flammes vertes de ses yeux… Elle reprit :

— Ah ! que la petite ville morte de Kandy me sembla triste et poignante ce jour-là !… Dans la chaleur torride, un lourd silence planait, avec les vautours, sur elle… Quelques Hindous sortaient du temple où ils avaient porté des fleurs au Buddha… La douceur profonde de leurs regards, la noblesse de leur front, la faiblesse souffrante de leur corps, consumé par la fièvre, la lenteur biblique de leur démarche, tout cela m’émut jusques au fond des entrailles… Ils semblaient en exil, sur la terre natale, près de leur Dieu si doux, enchaîné et gardé par les cipayes… Et, dans leurs prunelles noires, il n’y avait plus rien de terrestre… plus rien qu’un rêve de libération corporelle, l’attente des nirvanas pleins de lumière… Je ne sais quel respect humain me retint de m’agenouiller devant ces douloureux, ces vénérables pères de ma race, de ma race parricide… Je me contentai de les saluer humblement… Mais ils passèrent sans me voir… sans voir mon salut… sans voir les larmes de mes yeux… et l’émotion filiale qui me gonflait le cœur… Et quand ils