Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/206

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eurent passé, je sentis que je haïssais l’Europe, d’une haine qui ne s’éteindrait jamais…

S’interrompant, tout d’un coup, elle me demanda :

— Mais je t’ennuie, dis ? Je ne sais pas pourquoi je te raconte tout cela… Ça n’a aucun rapport… Je suis folle !…

— Non… non… chère Clara, répondis-je en lui baisant les mains… Je vous aime, au contraire, de me parler ainsi… Parlez-moi toujours ainsi !…

Elle continua :

— Après avoir visité le temple, pauvre et nu, qu’un gong décore à l’entrée, seul vestige des richesses anciennes, après avoir respiré l’odeur des fleurs dont l’image du Buddha était toute jonchée, je remontai mélancoliquement vers la ville… Elle était déserte… Évocation grotesque et sinistre du progrès occidental, un pasteur — seul être humain — y rôdait, rasant les murs, une fleur de lotus au bec… Sous cet aveuglant soleil, il avait conservé, comme dans les brumes métropolitaines, son caricatural uniforme de clergyman, feutre noir et mou, longue redingote noire à col droit et crasseux, pantalon noir, retombant, en vrilles crapuleuses,