Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/225

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était resté entre les dents de la scie… Il le fit sauter d’un coup d’ongle et l’envoya se perdre dans le gazon, parmi les fleurettes…

— C’est de la moelle, milady !… fit le joyeux bonhomme… Il n’y en a pas pour cher…

Et, hochant la tête, il ajouta :

— Il n’y en a pas souvent pour cher… car nous travaillons, presque toujours, dans le bas peuple…

Puis, d’un air de tranquille satisfaction :

— Hier, ma foi… ce fut très curieux… D’un homme j’ai fait une femme… Hé !… hé !… hé !… C’était à s’y méprendre… Et je m’y suis mépris, pour voir… Demain, si les génies veulent bien m’accorder la grâce que j’aie une femme, à ce gibet… j’en ferai un homme… C’est moins facile !… Ha !… ha !…

Sous l’effort d’un nouveau rire, son triple menton, les bourrelets de son cou, et son ventre tremblèrent comme de la gélatine… Une seule ligne rouge et arquée reliait alors le coin gauche de sa bouche à la commissure de ses paupières droites, au milieu des bouffissures et des rigoles par où coulaient de minces filets de sueur et des larmes de rire.

Il introduisit la scie nettoyée et luisante