Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/291

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Du ciel à l’arbre, de l’arbre au sol, partout, le silence s’établit. Et je le sens qui pénètre aussi en moi et qui me glace, comme de la mort.

Un troupeau de grues descend lentement la pente gazonnée et vient se ranger non loin de nous, autour du bassin. J’entends le frôlis de leurs pattes dans l’herbe haute, et le claquement sec de leurs becs. Puis dressées sur une seule patte, immobiles, la tête sous leurs ailes, on dirait des décors de bronze. Et la carpe au museau d’or qui dormait sous une feuille de nélumbium, vire dans l’eau, s’enfonce, disparaît, laissant à la surface de larges ondes qui agitent d’un mol balancement les calices refermés des nymphéas, vont s’élargissant, se perdant, parmi les touffes des iris dont les diaboliques fleurs, étrangement simplifiées, inscrivent dans la magie du soir des signes fatalistes, échappés au livre des destins…

Une énorme aroïdée évase, au-dessus de l’eau, le cornet de sa fleur verdâtre piquée de taches brunes, et nous envoie une odeur forte de cadavre. Longtemps, des mouches persistent, s’obstinent, s’acharnent autour du charnier de son calice…