Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/311

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même pas le droit d’avoir un nom à nous… parce qu’il y a, dans toutes les maisons, des filles, des cousines, des chiennes, des perruches qui portent le même nom que nous.

— Bien, Madame… répondis-je.

— Savez-vous l’anglais, Mary ?

— Non, Madame… Je l’ai déjà dit à Madame.

— Ah ! c’est vrai… Je le regrette… Tournez-vous un peu, Mary, que je vous voie…

Elle m’examina dans tous les sens, de face, de dos, de profil, murmurant de temps en temps :

— Allons… elle n’est pas mal… elle est assez bien…

Et brusquement :

— Dites-moi, Mary… êtes-vous bien faite… très bien faite ?

Cette question me surprit et me troubla. Je ne saisissais pas le lien qu’il y avait entre mon service dans la maison et la forme de mon corps. Mais, sans attendre ma réponse, Madame dit, se parlant à elle-même et promenant de la tête aux pieds, sur toute ma personne, son face-à-main.

— Oui, elle a l’air assez bien faite…

Ensuite, s’adressant directement à moi, avec un sourire satisfait :

— Voyez-vous, Mary, m’expliqua-t-elle, je n’aime avoir auprès de moi que des femmes bien faites… C’est plus convenable…

Je n’étais pas au bout de mes étonnements.