Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/331

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attention. Jamais il ne m’adressa une parole émue, gentille, comme en ont les amoureux dans les livres et dans les drames. D’ailleurs il n’aimait rien de ce que j’aimais… il n’aimait pas les fleurs, à l’exception des gros œillets dont il parait la boutonnière de son habit… C’est si bon, pourtant, de ne pas toujours penser à la bagatelle, de se murmurer des choses qui caressent le cœur, d’échanger des baisers désintéressés, de se regarder, durant des éternités, dans les yeux… Mais les hommes sont des êtres trop grossiers… ils ne sentent pas ces joies-là… ces joies si pures et si bleues… Et c’est grand dommage… M. Xavier, lui, ne connaissait que le vice, ne trouvait de plaisir que dans la débauche… En amour, tout ce qui n’était pas vice et débauche le rasait.

— Ah ! non… tu sais… c’est rasant… J’en ai soupé de la poésie… La petite fleur bleue… faut laisser ça à papa…

Quand il s’était assouvi, je redevenais instantanément la créature impersonnelle, la domestique à qui il donnait des ordres et qu’il rudoyait de son autorité de maître, de sa blague cynique de gamin. Je passais sans transition de l’état de bête d’amour à l’état de bête de servage… Et il me disait souvent, avec un rire du coin de la bouche, un affreux rire en scie qui me froissait, m’humiliait :

— Et papa ?… Vrai ?… tu n’as pas encore couché avec papa ?… Tu m’étonnes…