Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/332

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Une fois, je n’eus pas la force de dissimuler mes larmes… elles m’étouffaient. M. Xavier se fâcha :

— Ah ! non… tu sais… Ça, c’est le comble du rasoir… Des larmes, des scènes ?… Faut rentrer ça, mon chou… ou sinon, bonsoir… J’en ai soupé de ces bêtises-là…

Moi, quand je suis encore sous le frisson du bonheur, j’aime à retenir dans mes bras longtemps, longtemps, le petit homme qui me l’a donné… Après les secousses de la volupté, j’ai besoin — un besoin immense, impérieux — de cette détente chaste, de cette pure étreinte, de ce baiser qui n’est plus la morsure sauvage de la chair, mais la caresse idéale de l’âme… J’ai besoin de monter de l’enfer de l’amour, de la frénésie du spasme, dans le paradis de l’extase… dans la plénitude, dans le silence délicieux et candide de l’extase… M. Xavier, lui, avait soupé de l’extase… Tout de suite, il s’arrachait à mes bras, à cette étreinte, à ce baiser qui lui devenait physiquement intolérable. Il semblait vraiment que nous n’eussions rien mêlé de nous en nous… que nos sexes, que nos bouches, que nos âmes n’eussent pas été un instant confondus dans le même cri, dans le même oubli, dans la même mort merveilleuse. Et, voulant le retenir sur ma poitrine, entre mes jambes nerveusement nouées aux siennes, il se dégageait, me repoussait brutalement, sautait du lit :

— Ah ! non… tu sais… Elle est mauvaise…