Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/49

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sait, en France, la traite des blancs, comme en Afrique, la traite des noirs ?… Il y avait des marchés d’hommes, comme des marchés de bestiaux pour une plus horrible boucherie ? Cela ne m’étonne pas trop… Est-ce qu’il n’y en a plus aujourd’hui ? Et que sont donc les bureaux de placement et les maisons publiques, sinon des foires d’esclaves, des étals de viande humaine ?

D’après la mercière, c’était un commerce fort lucratif, et le père de Madame, qui l’avait accaparé pour tout le département, s’y montrait d’une grande habileté, c’est-à-dire qu’il gardait pour lui et mettait dans sa poche la majeure partie de la prime… Voici dix ans qu’il est mort, maire du Mesnil-Roy, suppléant du juge de paix, conseiller général, président de la fabrique, trésorier du bureau de bienfaisance, décoré, et, en plus du Prieuré qu’il avait acheté pour rien, laissant douze cent mille francs, dont six cent mille sont allés à Madame, car Madame a un frère qui a mal tourné, et on ne sait pas ce qu’il est devenu… Eh bien… on dira ce qu’on voudra… Voilà de l’argent qui n’est guère propre, si tant est qu’il y en ait qui le soit… Pour moi, c’est bien simple, je n’ai vu que du sale argent et que de mauvais riches.

Les Lanlaire — est-ce pas à vous dégoûter ? — ont donc plus d’un million. Ils ne font rien que d’économiser… et c’est à peine s’ils dépensent le tiers de leurs rentes. Rognant sur tout, sur les