Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/517

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retourner au pays, pour y épouser un brave garçon qui m’attendait depuis longtemps. En termes attendrissants j’exprimai ma peine, mes regrets, les bontés de Madame, etc… Madame fut atterrée… Elle essaya de me retenir, par les sentiments et par l’intérêt… offrit d’augmenter mes gages, de me donner une belle chambre, au second étage de la maison. Mais, devant ma résolution, elle dut se résigner…

— Je m’habituais si bien à vous, maintenant !… soupira-t-elle… Ah ! je n’ai pas de chance…

Mais ce fut bien pire quand, huit jours après, Joseph vint à son tour expliquer que, se faisant trop vieux, étant trop fatigué, il ne pouvait plus continuer son service et qu’il avait besoin de repos.

— Vous, Joseph ?… s’écria Madame… vous aussi ?… Ce n’est pas possible… La malédiction est donc sur le Prieuré… Tout le monde m’abandonne… tout m’abandonne…

Madame pleura. Joseph pleura. Monsieur pleura. Marianne pleura…

— Vous emportez tous nos regrets, Joseph !…

Hélas ! Joseph n’emportait pas que des regrets… il emportait aussi l’argenterie !…

Une fois dehors, je fus perplexe… Je n’avais aucun scrupule à jouir de l’argent de Joseph, de l’argent volé — non ce n’était pas cela… quel est l’argent qui n’est pas volé ? — mais je craignis que le sentiment que j’éprouvais ne fût qu’une