Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/81

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à marmotter des prières, à faire des génuflexions et des signes de croix… Ah, cette église ! Avec ses grossières charpentes qui la traversent et qui soutiennent la voûte chancelante, elle ressemble à une grange ; avec son public, toussant, crachant, heurtant les bancs, traînant les chaises, on dirait aussi d’un cabaret de village. Je ne vois que des faces abruties par l’ignorance, des bouches fielleuses crispées par la haine… Il n’y a là que de pauvres êtres qui viennent demander à Dieu quelque chose contre quelqu’un… Il m’est impossible de me recueillir et je sens descendre en moi et sur moi comme un grand froid… C’est peut-être qu’il n’y a même pas un orgue dans cette église ?… Est-ce drôle ? Je ne puis pas prier sans orgue… Un chant d’orgue, ça m’emplit la poitrine, puis l’estomac… ça me rend toute chose… comme en amour. Si j’entendais toujours des voix d’orgue, je crois bien que je ne pécherais jamais… Ici, à la place de l’orgue, c’est une vieille dame, dans le chœur, avec des lunettes bleues et un pauvre petit châle noir sur les épaules, qui, péniblement, tapote sur une espèce de piano, pulmonique et désaccordé… Et c’est toujours des gens qui toussotent et crachotent, un bruit de catarrhe qui couvre les psalmodies du prêtre et les répons des enfants de chœur. Et ce que cela sent mauvais !… odeurs mêlées de fumier, d’étable, de terre, de paille aigre, de cuir mouillé… d’encens avarié… Vraiment, ils sont bien mal élevés en province !