Page:Mirbeau - Les Écrivains (deuxième série).djvu/170

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pour ne pas sentir, jusqu’à l’enthousiasme, la beauté inconnue de ce phénomène moral…

Il semblait qu’Émile Zola eût épuisé l’existence entière et plus… Il lui avait pris successivement toutes ses misères, toutes ses secousses, tous ses abandons, toutes ses révoltes aussi. L’un après l’autre, les métiers consument le cerveau, les machines qui dévorent la viande humaine, lui avaient révélé leurs secrets de torture et leurs fatalités économiques. Successivement, il avait répandu, sur tous les rouages de la société contemporaine l’huile inépuisable de son génie. Tout et tous avaient été sa chose. Il était le grand ouvrier de pensée, le maître des corporations, l’Ecclésiaste de chaque religion, le chantre de l’art et de la science. Il avait, ensuite, saisi, corps à corps, les miracles, l’Église et la Ville… Lourdes, Rome, Paris, trois énigmes par lui déchiffrées… Après cette analyse formidable, après ces synthèses de l’histoire, après la coordination passionnée et logique de ses travaux, il lui fallait une réalisation plus grande, un couronnement en vigueur et en lumière de tout son énorme labeur… Peintre épique du vrai, observateur tour à tour minutieux et largement intuitif de la nature et de la vie, il avait fait, de la réalité, une chose infinie. Il lui restait à s’évader du monde, à le recréer, meilleur, pacifié et plus immense, à entrer dans l’avenir pour nous montrer tout ce qui y germe d’espoirs nouveaux…