Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/150

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de la Seine, caché par le niveau de l’île, on n’aperçoit que la rive droite plate, nue, découvrant par places, les écorchures blanchâtres d’un terrain marneux. La plaine, ensuite, ça et là semée de bouquets de trembles et de pommiers solitaires, s’étend en paisibles carrés de cultures jusqu’à des coteaux aux souples ondulations, aux pentes orangées, couronnées de forêts, dont la tache sombre s’attendrit, se voile de bleu léger et semble se vaporiser avec la brume qui monte, soir et matin, des nappes d’eau et des prairies riveraines. Gaiement éparpillés sur une même ligne, des villages longent le pied des coteaux, et leurs toits rouges et leurs façades blanches éclatent parmi les verdures estompées. Un peu vers la droite, la plaine s’élargit, les coteaux s’exhaussent en montagnes et s’ouvrent brusquement pour laisser voir un espace très lointain, très bleu et très rose, une enfoncée de vallée qu’on dirait remuante et légère autant que des nuées. Le spectacle de cet horizon est délicieux à regarder ; il est d’une douceur infinie, d’une lumière opaline, exquise, rendue plus exquise encore par la dureté des premiers plans et la complication de leurs arabesques emmêlées. Durant les mois d’automne, le brouillard y promène ses rêves fugitifs et ses mystères changeants dans la fine transparence de ses voiles argentés.

Et c’est un calme qui vous pénètre, qui vous détend, qui descend jusque dans les profondeurs