Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/151

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de l’âme, pour y éteindre les souffrances les mieux attisées.

À l’autre bout de l’île, entre les caprices des végétations, à travers le frissonnant feuillage des peupliers, l’on voit glisser les lourds toueurs et les longs trains de bateaux, aux bordages vermillonnés, braisillant dans le soleil. Cela glisse entre des rives où l’eau n’apparaît pas, cela glisse fantastiquement, comme des fragments d’édifices embrasés, comme des pensées incohérentes et tronquées qui s’en vont, l’une après l’autre, à la dérive des songeries. Et dans le grand silence qui est partout, rien n’éveille, en votre esprit, l’idée d’une activité humaine. La plaine est trop vaste : l’homme s’y perd, s’y confond avec la terre ; et sur la berge proche, des bonnes gens, issant de l’herbe, immobiles comme des stèles, se livrent à de vagues et inutiles pêches, tandis que, roses de soleil, les vaches broutent et tendent leur mufle baveux sur l’eau qui, lentement, roule les lumineux abîmes du ciel reflété.

C’est dans ce village des Damps que M. Caro venait chaque année, durant les six mois de belle saison, heureux de retrouver, en ce paysage choisi, la solitude et le silence. Sa petite maison rustique et pimpante borde le chemin, en face d’une sorte d’esplanade, tapissée d’herbe courte et drue, qui va jusqu’à la rivière et qui sert de place au village. Maison de philosophe — et non pas de philosophe mondain, tel que la chronique parisienne nous a maintes