Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/160

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générosité. Notez que cet opportuniste n’est point un opportuniste inconscient et quelconque comme il y en a beaucoup. Celui-là est un convaincu. Il connaît la doctrine, il la pratique. C’est ainsi qu’il est toujours pour le banquier contre l’épargne, pour les compagnies de chemins de fer contre les voyageurs, même les voyageurs écrasés ; pour les Sociétés de mines contre les mineurs, même les mineurs ensevelis ; pour la maladie contre le malade, pour la misère en général, contre les misérables en particulier.

C’est ce que, dans le monde bourgeois, si fier de ses conquêtes morales, on appelle un sage. En sa qualité de sage, ce sage des sages est encore pour beaucoup d’autres vérités aussi belles et courageuses. Je ne puis les énumérer ici, car elles sont innumérables, et je craindrais qu’elles parussent, à la longue, bien monotones, car elles s’appliquent à tout et à tous, se ressemblent toutes et varient seulement en enthousiasme, selon le plus ou moins de férocité qu’ont les choses, le plus ou moins d’importance sociale ou financière qu’ont les personnes. Aucun ne sait, comme lui, couvrir de grâces légères, de bavardages sentimentaux et fleuris, l’âpre et sombre struggle-for-life embusqué au cœur de tout bon modéré ; aucun ne dissimule mieux, sous les plus engageants sourires, les crocs qui s’aiguisent dans une mâchoire impatiente de fouiller la viande humaine. J’ai donc