Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/237

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d’interrogation sans un grand frisson. Pourtant il ne convient point de désespérer. Comme l’a dit M. Édouard Petit, « Lombard était des nôtres, sa famille sera désormais des nôtres » . Il n’est pas possible qu’un être élu, en qui a brûlé une des plus belles flammes de la pensée de ce temps, soit plus maltraité de la charité publique, que le dernier des comédiens, qui, devenu vieux, n’a qu’à tendre la main pour qu’on la remplisse d’or ; il n’est pas possible que nous ne trouvions pas le moyen d’émouvoir cette charité qui a fait tant de miracles, souvent mal à propos, en faveur d’une infortune sacrée, digne celle-là de tous les respects et de toutes les pitiés.

D’origine ouvrière, Jean Lombard s’était fait tout seul. Je veux constater, en passant, une vérité. Plus nous allons, et plus tout ce qui émerge de l’universelle médiocrité, tout ce qui porte une force en soi, force sociale, force pensante, force artiste, vient du peuple. C’est dans le peuple, encore vierge, toujours persécuté, que se conservent et s’élaborent les antiques vigueurs de notre race. Nos bourgeoisies, épuisées de luxe, dévorées d’appétits énervants, rongées de scepticisme, ne poussent plus que de débiles rejetons inaptes au travail et à l’effort. Jean Lombard avait gardé de son origine prolétaire, affinée par un prodigieux labeur intellectuel, par un âpre désir de savoir, par de tourmentantes