Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/39

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une cocotte. Ce poète, c’est Leconte de Lisle.

Pendant que, de toutes parts, on tresse des couronnes au front de François Coppée, on l’oublie, lui. Il fait paraître un livre, c’est-à-dire un chef-d’œuvre grandiose et sévère, on n’en parle jamais. Il se présente à l’Académie française ; il obtient deux voix. Ce poète, qui sera la gloire de ce temps, dont les œuvres illumineront ce quart de siècle, si stérile en hommes, si pauvre en belles œuvres, on le méprise presque. Que voulez-vous que pense la foule ignorante, si ceux qui sont chargés de l’éclairer, et de lui apprendre à aimer et à respecter les grands hommes, les rejettent, comme insuffisants, et comme indignes ? Et n’est-ce point une honte que se donne l’Académie, en ajoutant à la liste de ses refusés, à Stendhal, à Balzac, à Gautier, à Baudelaire, à Flaubert, le nom de Leconte de Lisle ? On dirait que ce siècle épuisé et rachitique a horreur de ce qui est fort, et que le poids de tels génies est trop lourd pour ses faibles épaules.

Mais M. Halévy devient immortel. Il est le favori de la médiocrité, cette reine du monde. Après M. Halévy, un autre de même petite taille, et ainsi de suite. Nous verrons successivement M. Claretie, M. Delpit, M. Ohnet, c’est-à-dire les éphémères, qui brillent un jour et qui le lendemain disparaissent sans laisser de traces.

Ô Victor Koning, tu es vraiment le Dieu d’aujourd’hui. Tu as donné ton esprit, ton âme à toutes choses, et ce siècle mérite d’être marqué aux épaules par tes initiales.