Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/85

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Personne, plus que moi, n’estime le talent de M. de Maupassant. Parmi ses œuvres, déjà nombreuses, il en est trois ou quatre de définitives et qui resteront. C’est, je crois, le plus bel hommage qu’on puisse adresser à un écrivain, en ce temps de littératures qui passent, à peine saluées par Aujourd’hui, et dont Demain ne gardera pas le souvenir. Quelques rares critiques ont reproché à M. Guy de Maupassant d’éparpiller ses forces en récits écourtés, au lieu de les condenser en de gros ouvrages. Ce reproche me semble injuste car M. de Maupassant se meut avec infiniment plus d’aise et de grâce dans le conte que dans le roman, et puis le conte est un genre charmant et très français, qui a doté notre patrimoine littéraire de beaucoup de chefs-d’œuvre. Je ne vois pas bien ce que l’on gagnerait, en obligeant l’auteur de Bel-Ami à n’écrire désormais que des romans, et je vois tout ce qu’on y perdrait. M. de Maupassant est le maître du conte ; personne ne lui dispute cette place, au contraire. Chacun s’efforce à le hisser si haut au-dessus de tous les conteurs passés, présents et futurs, que bientôt on n’apercevra plus de lui que des rayons. Ses apparences physiques auront disparu, et le moment n’est pas éloigné, où M. de Maupassant sera devenu une abstraction, une sorte de dieu apothéotique, le Conte lui-même. Sûr de sa divinité, dans le conte, M. de Maupassant ne devra pas se résigner facilement à n’être qu’un demi-dieu, dans le roman.