Page:Mirbeau - Lettres de ma chaumière.djvu/352

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plus bizarres les unes que les autres. D’ailleurs, il n’y a pas à s’y tromper, quelque objet qu’on désire se procurer, c’est chez Albaret qu’il faut le demander. Albaret est boulanger, bourrelier, charpentier, épicier, quincaillier, peintre, mercier, libraire, menuisier ; il rempaille les chaises et raccommode les serrures, achète les vieux os, les verres cassés et les peaux de lapin, tient débit de boissons et de tabac. Il n’est pas un métier dans le monde qu’Albaret ne soit capable de remplir à la satisfaction générale, même celui de « rebouteux », et l’on rencontre dans le pays nombre de pauvres gens à qui cet homme unique, autant qu’universel, a, moyennant vingt sous, cassé bras et jambes. Aussi Albaret a-t-il grande réputation d’esprit. En revanche, il n’avait pas de lampes ; je crois même qu’il n’en avait jamais eu.

— Vous n’avez point de chance, me dit-il. Justement, j’ai vendu la dernière avant-z-hier. Mais ça ne fait rien… Je vas à la ville sur le tantôt, et j’vas vous en rapporter une