Page:Mirbeau - Lettres de ma chaumière.djvu/354

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

visage rose, boursouflé, un triple menton, les épaules étroites, un ventre énorme et des cheveux verts qui tombaient, en mèches plates, sur son front. Été comme hiver, on le voyait revêtu d’une sorte de veston en velours à côtes, déchiré et graisseux, d’un pantalon de toile bleue déteinte et d’une casquette de soie — du genre de celles appelées casquettes à trois ponts — qui est la coiffure adoptée par les paysans normands ; seulement Albaret, en sa qualité d’homme d’esprit et d’homme d’importance, exagérait à plaisir le nombre et la hauteur des ponts, en tout bien tout honneur. Il était marié et sa femme, qu’on nommait l’Arbalète, lui donnait tous les ans un enfant, quelquefois deux. En ces occasions, on le plaisantait un peu au village, à cause de l’énormité de son ventre, mais il ne se fâchait pas et, tapant sur son ventre, il répondait gaiement :

— Eh ben, oui, si vous v’lez le savoir c’est moi qu’accouche. Et y en a encore pu d’un là-dedans, allez.