Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/103

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malheur, et il se remettait à jouer, comme autrefois, entraîné par Jean de Kerral, à des parties de paume, de raquette, dans des groupes où, grâce à ce dernier, on le supportait, presque affectueusement. Ensuite, il trouvait, en soi-même, de quoi embellir les heures de repos et de rêve. Au contact plus intime et non seulement physique de ses camarades, mêlé davantage à leurs caractères différents, frotté à leurs passions dissemblables, son esprit s’enrichissait de découvertes incessantes, de mille petits faits de vie morale, qui étaient un perpétuel aliment pour ses appétits de connaître, parfois une explication de ses façons de sentir. Ses pensées, plus actives, plus identifiées à son moi, devenaient des compagnes fidèles, victorieuses de l’ennui, et chères infiniment. Souvent elles l’emportaient, par delà les brutalités des apparences extérieures, dans des mondes éblouissants, sur la frontière du réel et de l’invisible où, surnaturalisant les formes, les sons, les parfums, le mouvement, elles se haussaient jusqu’à la divination vague et précoce, pas encore consciente, de la beauté artiste et de l’amour essentiel. Initié par son ami aux menus secrets de pratique courante, dont l’ignorance, jadis, le chagrinait si fort, arrêtait si brusquement l’essor de ses élans, il prenait aussi, vis-à-vis des autres, une hardiesse plus grande, vis-à-vis de lui-même une sécurité moins troublée. Il n’osa pas, cependant, aborder Le Toulic, à cause de son air trop grave, de ses trop pédantes allures. Le Toulic, piocheur endurci, intelligence lente, mémoire rebelle, volonté obstinée de Breton, affectait de ne s’intéresser qu’à ses devoirs, et passait une partie de ses