Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/137

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ta chambre… Je vais attendre la malle, moi !… Et tâche d’avoir une autre figure que celle-là… Ce n’est pas la peine de mettre les voisins au courant de nos tristes secrets.

Ces dix jours de vacances furent intolérables. Ils parurent à Sébastien un siècle. Depuis l’heure du lever jusqu’à celle du coucher, il eut à subir l’identique et perpétuel assaut des mêmes plaintes folles et des mêmes grotesques exhortations. Il lui fallut supporter les plus déraisonnables reproches, et les accusations les plus hyperboliques, dont l’extravagante injustice confinait au bouffon. Une fois lancé sur cette pente, M. Roch ne s’arrêta plus. Ce qui lui était arrivé de fâcheux ou d’anormal, il en rendit son fils responsable. Aigrement, il lui jeta à la figure la baisse du fer, la recrudescence de ses rhumatismes, la faillite d’un maréchal où il avait perdu cinquante francs, le ralentissement de la vente. Retenu sévèrement à la maison, emmuré dans cette arrière-boutique, si froide et sombre, avec la perspective continuelle des murs suintants, le morose spectacle de la cour, encombrée d’ordures, l’enfant n’eut pas d’autres moments de répit que ceux des visites. Encore y endura-t-il un genre de supplice particulier et non moins cruel ; il y entendit son père vanter ses succès scolaires, ses fréquentations aristocratiques, ne parler que de noblesse, décrire les magnificences du château de Kerral ; il fut forcé d’appuyer sur ses imaginations biscornues, sollicité au mensonge par son père lui-même, dont l’audace vile et la basse effronterie lui emplirent l’âme de dégoûts, le firent rougir de honte.