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Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/139

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presque délicieusement, comme un prisonnier délivré respire l’odeur de la vie à laquelle il est rendu. Dans le baiser rapide que, tout à l’heure, ils avaient échangé, son père et lui, il avait senti que quelque chose s’était brisé, était mort irrémédiablement. Il ne s’en affligea pas, et il eut un plaisir véritable à penser qu’il allait revoir Bolorec et que celui-ci lui chanterait peut-être une ronde nouvelle. Même, il évoqua, avec complaisance, sa physionomie, quand il disait :

— C’est sur la lande, là-bas… Et elles s’en vont… et elles reviennent.

Et longtemps, il rêva à des paysages remplis de voix qui chantaient.


Le printemps fut charmant. Les feuilles reverdirent aux arbres de la cour, et les fonds du parc se parèrent de couleurs tendres. Sébastien eut, lui aussi, des tressaillements de sève montante, dans son être un afflux de force et de courage, et comme une efflorescence de toutes ses facultés agissantes et pensantes. Il fut moins inquiet, plus souple à se façonner aux petites déceptions, aux petites douleurs de son existence, et le dégoût de ses devoirs s’atténua. Il avait même des accès de gaieté saine, s’ingéniait, sans y réussir, à fouetter, de son entrain, l’incoercible indolence de Bolorec.

Les Jésuites possédaient, sur le golfe du Morbihan, à quelques kilomètres de Vannes, une sorte de grande villa qu’on appelait Pen-Boc’h. Les élèves, durant la belle saison, y allaient deux fois par semaine, régulièrement. On se baignait, on y soupait, et l’on s’en revenait ensuite, joyeux, par