Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/151

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un instant entrebâillé la porte des paradis rêvés et de l’avoir ensuite, sans raison, brutalement, refermée sur ses espoirs émerveillés. Dans l’impossibilité où il était de continuer ses leçons de musique, et poussé par une force intérieure, dominatrice, à étreindre, à exprimer, à matérialiser, pour ainsi dire, ses aspirations bien vagues, certes, et bien irrésistibles aussi, vers l’idéale conquête des harmonies et des formes, il retrouva dans le dessin un aliment à ses ambitions, et il s’y passionna. Un externe lui apportait, en cachette, des modèles dérobés à la maison : têtes aux traits nets et fins ; muletiers espagnols aux mollets bombés, profils de dieux mythologiques, bustes laurés d’empereurs, vierges drapées de voiles aux plis symétriques ; figures bibliques soutenant des amphores ; arbres aux classiques embranchements. Défendu contre le regard inquisiteur du maître d’étude, par une pile de livres, un rempart de dictionnaires, il copiait ces dessins, naïvement, séduit, surtout, par les formes plus accessibles de beauté inexpressive et jolie, de beauté régulière, aimant, dans les physionomies, ce qui se rapprochait le plus de l’expression religieuse conventionnelle : les larges yeux arqués, aux extases vides, les bandeaux plats, les contours lisses, les ovales allongés, les plis maniérés. Souvent, on lui confisquait ses modèles et ses maladroits essais. Alors, il tentait de les reconstituer, par le souvenir, car il avait une mémoire véritablement surprenante, la mémoire des formes. Cette privation de modèles et la difficulté de s’en procurer de nouveaux ne le décourageaient pas. Il s’ingéniait à reproduire ce qui, dans ses promenades, l’avait le plus frappé, de préfé-