Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/180

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du sexe vierge au cerveau déjà souillé, il perdait, de jour en jour, d’heure en heure, sans le sentir, sans le voir, l’orientation de son équilibre moral, la santé de son esprit, l’honnêteté de son instinct. Il ne résista pas, il ne put pas résister à la démoralisation de sa petite âme, habilement saturée de poésies, chloroformée d’idéal, vaincue par la dissolvante, par la dévirilisante morphine des tendresses inétreignables. Et ce travail sourd, continu, envahisseur, le Père de Kern en rendit complices le soleil, les brumes, la mer, les soirs languides, les nuits stellaires, toute la nature soumise, comme une vieille matrone, aux concupiscences monstrueuses d’un homme. Tous les deux, elle et lui, ne s’adressèrent pas directement aux organes inférieurs de l’enfant, ils ne tentèrent pas d’exciter les appétits grossiers qui dorment au fond des cœur les plus purs. Ce fut par les plus belles, par les plus nobles qualités, par la générosité de son intelligence, par la confiance de son idéal qu’ils insinuèrent, goutte à goutte, le mortel poison. Le moment était bien choisi pour ce viol d’une âme délicate et passionnée, sensitive à l’excès, environnée d’embûches tentatrices, attaquée dans les racines mêmes de la vie intellectuelle. Sous l’obsession de ces causeries, sous la persécution de ces rêves corrupteurs, Sébastien sentait naître en lui et s’agiter des troubles physiques d’un caractère anormal qui l’inquiétait, comme un symptôme de grave maladie. Une poussée de sang plus chaud gonflait et brûlait ses veines ; une distension de ses muscles stimulait sa chair exaspérée ; il avait les vertiges, les syncopes, les spasmes nocturnes, les érotiques digestions par quoi s’annoncent, chez