Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/181

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les natures précoces, les premières commotions de la puberté.


Ce soir-là, les élèves s’étaient tous rendus à confesse. On devait, le lendemain, communier dès le réveil, et s’en aller ensuite, en pèlerinage, à Sainte-Anne d’Auray ; un pèlerinage annuel impatiemment désiré comme une partie de plaisir. Neuf heures sonnaient à l’horloge, quand Sébastien, avec quelques compagnons retardataires, revint de la chapelle et entra dans le dortoir. Le Père de Kern était assis près de la fenêtre ouverte, un coude nonchalamment posé sur l’appui, songeur. La journée avait été brûlante ; des souffles chauds, étouffants, passaient dans l’atmosphère, chargée d’orage. Au ciel, de gros nuages s’amoncelaient, voilant la lune ; le vent s’était levé, secouait les arbres du parc qui grondaient, sourdement, ainsi qu’une mer déferlant, au loin. Le Père de Kern arrêta Sébastien qui vint se mettre à sa place accoutumée.

— Je pensais à vous, mon cher enfant, lui dit-il, lorsque les autres élèves eurent rejoint leur cellule… Vous communiez demain ?… C’est un grand jour… Oh ! je me rappelle votre première communion… Qu’elle fut touchante !… De ce moment je me suis intéressé à vous, je vous ai aimé… vous êtes si peu pareil aux autres qui sont ici !… À chaque instant je découvre en vous des qualités exceptionnelles que je m’efforce de développer, de diriger… Je vous parle comme je ne parlerais à aucun, parce que vous comprenez, vous sentez des choses que pas un seul de vos camarades ne sent, ni ne comprend… Si je pouvais être tout à