Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/182

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fait votre professeur, il me semble que je ferais de vous quelque chose… quelque chose de très grand… J’y ai pensé souvent… Ah ! comme je le voudrais…

Il soupira et regarda la nuit tourmentée, le ciel houleux où chevauchaient d’énormes vagues sombres, que la lune illuminait, en dessous et aux bords, d’éclatantes lueurs métalliques. Après une songerie de quelques minutes, il reprit d’une voix qui s’attrista :

— Seulement, vous n’avez pas confiance en moi… Vous me considérez comme un maître, alors que je suis votre ami, mon cher enfant… l’ami de votre cœur, de votre intelligence, l’ami de tout ce que vous rêvez et de tout ce qui est en vous, ignoré de vous-même et connu de moi. Ah ! comme cela m’afflige !

Il se tut. Le dortoir était redevenu silencieux. Un coup de vent, plus violent que les autres, se leva, ébranlant le toit au-dessus d’eux. Des ardoises arrachées volèrent et tombèrent dans la cour. Le Père de Kern ferma la fenêtre.

— Venez avec moi ! fit-il.

Il longea la rangée des cellules, sortit du dortoir, descendit des escaliers, s’engagea dans des couloirs faiblement éclairés d’une clarté de lampe agonisante, traversa des couloirs sombres où la lune dessinait, en blancheurs tristes, sur les dalles, les rectangles des fenêtres et l’ombre des meneaux. Sébastien, sans raisonner, le suivit. Où allaient-ils ainsi, dans cette louche, vacillante lumière, dans cette ombre claustrale, si pleine de silence, dans cette solitude, où leurs pas, à peine, s’entendaient ? Il ne se le demanda même point.