Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/183

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— Marchez plus doucement ! recommanda le Père, qui, avec précaution, l’œil inquiet, l’oreille guetteuse, avançait sur la pointe des pieds, rasant les murs.

Sébastien essaya de conformer ses mouvements à ceux de son guide. Aucune pensée mauvaise ne lui venait, aucune peur. Il s’étonnait seulement, d’un étonnement vague, qui n’était pas sans plaisir, de parcourir, à cette heure nocturne, ces coins du collège, qu’il ne connaissait point, ces tortueux escaliers, ces corridors aux angles brusques, ces paliers lugubres où, dans l’ombre plus dense, des lampions fumeux remuaient des lueurs de crime. Enfin, ils s’arrêtèrent devant une porte que le prêtre ouvrir sans bruit.

— Entrez, dit-il.

Comme Sébastien, un peu tremblant maintenant, hésitait, le Père de Kern le prit par la main, l’entraîna dans du noir et referma la porte, qu’il verrouilla soigneusement. Sébastien avait senti dans la sienne cette main moite et qui tremblait, elle aussi. Il frissonna. Et, à ce moment même, il eut la peur — une peur angoissante, horrible — la peur de toutes ces marches descendues, de tous ces couloirs traversés, de toutes ces livides lumières, de toutes ces ombres inconnues, et de ce noir surtout dans lequel il était, seul, avec cet homme. D’abord il ne vit rien qu’un jour blafard, lamellé, sinistrement projeté sur le plancher et sur le plafond par une fenêtre aux persiennes closes. Ce jour était funèbre ; il reflétait une pâleur opaque, une blancheur morte de linge. Autour de ce jour, où l’ombre du Père passait et repassait, c’était la nuit, une nuit hallucinante, pas si profonde, ce-