Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/198

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peut-être lui aurait-il dit : « Non… laissez-moi. » Mais il eût été content tout de même. Au contraire, pas une seconde le Père ne l’avait regardé ; pas une seconde, il n’avait pensé à lui ; avec une joie visible, impénitente, comme si rien ne s’était passé, comme s’il ne s’était accompli aucun crime, il aspirait à pleines narines la brise matinale et les odeurs fraîches qui montaient de la terre. Sébastien ne put supporter davantage la vue de ce prêtre, si cruelle et si odieuse. Pour l’éviter, il songea, un instant, à prétexter une maladie subite, et à rester là, seul, sur un talus, alors que les autres s’en iraient là-bas. Puis il baissa la tête, et silencieux, ahuri, pendant toute la route, il eut les yeux fixés sur le dos des élèves, marchant devant lui.

À mesure qu’ils avançaient, la route se peuplait de pèlerins. Ils arrivaient à travers la lande, par bandes, de très loin, sortaient des gorges, débouchaient de toutes les sentes. Aux carrefours, c’étaient des voitures pleines à chavirer, des charretées joyeuses, s’attardant devant les cabarets, et mêlant les verres de cassis aux cantiques, déjà ivres d’eau-de-vie et d’eau bénite. Si Sébastien avait eu plus de liberté d’esprit, il se fût amusé à regarder les costumes de ces hommes, et les coiffes de ces femmes. L’histoire pittoresque de la Bretagne défilait toute, en menus chiffons de batiste, de mousseline et de tulle. Hennins hautains, fanchons mutines, imposants diadèmes, tiares juives, bonnets sauvages de Tcherkesses, coquets toquets, elles passaient les filles de Saint-Pol, de Paimpol et de Fouesnant, elles passaient aussi les Bigoudens de Pont-L’Abbé, dont l’étrange coiffe phal-