Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/208

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même l’ombre d’un homme, mais l’ombre d’une chose, mise en mouvement, peut-être, par un coup d’air sur la lampe. Oui, c’était pour cela ! C’était pour cela encore que, au bain, le Père de Kern s’écartait toujours avec Jean, qu’il lui apprenait à nager, qu’il le soutenait sur l’eau, avec un plaisir visible et coupable. Les souvenirs affluaient, en foule, déchirant, un à un, les voiles hypocrites, arrachant les masques menteurs. Chaque action, chaque parole, chaque geste du Père, il les ramenait à une intention de luxure. Ses bienveillances, ses indulgences, il les entachait d’intérêts ignobles et d’impuretés. Son imagination, en proie à l’idée fixe du mal, englobait tous ses camarades dans un martyre commun. N’avaient-ils pas, les malheureux comme lui-même, le stigmate affreux de ce baiser de prêtre, la marque de cette monstrueuse étreinte ? Les figures pâles, les mines souffreteuses, les démarches molles, les grands yeux dolents dans des paupières meurtries ne disaient-ils pas l’infamie de ce dévoreur de petites âmes, le crime de ce tueur d’enfants ? Et pris d’un besoin de se justifier en universalisant sa honte, poussé par une rage de remuer des souillures certaines et des ordures tangibles, il matérialisait ses doutes, dramatisait ses hypothèses, en évocations d’images et de scènes lubriques, dont la salissante obsession l’affola.

Bientôt autour de lui, le bois s’enferma de murs épais, le jour se transforma en nuit sombre. Il reconnut la chambre terrible, le lit, au fond, blanchâtre et bas pareil à un sépulcre, et la livide clarté de la fenêtre, où l’ombre maudite passa et repassa. Il vit Jean, Guy, Le Toulic, tous les élèves, l’un