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Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/213

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Naturellement, il ne parlait ni le français, ni le breton… Et on ne savait pas ce qu’il voulait… Alors quelqu’un eut l’idée de lui mettre sur la langue une médaille de sainte Anne bénite par l’archevêque de Rennes. Et tout de suite ce Persan s’est mis à parler breton… Je l’ai vu, moi… Il est maintenant portier du séminaire… Qu’est-ce que tu as demandé, toi, à notre mère sainte Anne ?

— Moi, répliquait Kerral, j’ai demandé à notre mère sainte Anne de faire revenir Henri V, parce qu’on rendrait à papa ses vingt-cinq mille francs, qu’on fourrerait en prison le clerc d’huissier, et qu’on reprendrait à son père la ferme des biens nationaux… Et toi ?

— Moi, j’ai demandé à notre bonne mère sainte Anne, d’avoir le premier prix de gymnastique.

Ils parlèrent ensuite de saint Tugen, qui guérit de la rage, et de saint Ives qui ressuscite les marins.

Du sommet de la côte de Ponsal, à gauche, vers Vannes, la vue s’étend. C’est un pays sombre dont les terrains ondulent, coupés de ravins profonds, plantés de bois farouches qui ont l’air d’être là en embuscade. Les champs sont entourés de talus, hauts comme des forteresses. À droite, la lande descend vers les estuaires des rivières de Baden et d’Auray, noire, sillonnée de tranchées naturelles dans les parties plates, défendue par des replis de terrain en épaulement et des rochers qui se dressent menaçants, ainsi que des citadelles.

Jean dit, changeant brusquement la conversation, et indiquant d’un geste circulaire le paysage :

— Comme on les canarderait, hein ?

— Qui ça ?