Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/214

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Les bleus, donc… Oh ! je voudrais être officier, et qu’ils reviennent… J’en tuerais… j’en tuerais !

Et, passant à une autre idée, il interpella Bolorec qui marchait péniblement devant lui, les semelles lourdes, les hanches désunies.

— Qu’est-ce que tu as demandé à notre bonne mère sainte Anne, toi ?

Bolorec haussa les épaules, dédaignant de se retourner.

— M…., fit-il… Voilà ce que j’ai demandé.

Alors, Jean, très triste, gémit :

— C’est très mal, tu sais… C’est un sacrilège… Je t’aime bien… Mais tu mériterais que j’aille répéter cela au Père de Kern…

Ils se turent. Tout le long de la colonne, les causeries, animées au départ, cessèrent peu à peu. La journée avait été fatigante. Maintenant les pas traînaient sur le sol, plus pesants, les épaules se penchaient en avant cassées par la marche. Et le retour s’acheva dans le silence.

Sébastien n’avait pu recouvrer le calme moral, ni éteindre les ardeurs qui lui brûlaient le corps. Le poison était en lui, parcourait toute sa chair, s’insinuait au profond de ses moelles, ravageait son âme, ne lui laissant pas une minute de répit physique, pas une minute de paix mentale, par quoi il pût ressaisir les lambeaux de sa raison qui l’abandonnait. Les hallucinations le poursuivaient ; il glissait dans d’affolants vertiges. Il avait beau, par une survie de la conscience, par un rappel intermittent de son courage, résister à l’envahissement intérieur de ces flammes, se défendre contre l’engourdissement progressif de ce