Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/215

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poison, il se sentait, à chaque seconde, plus ébranlé en ses organes et vaincu davantage dans sa volonté. Il essaya de s’intéresser aux choses qui défilaient devant lui, mais les choses ne lui renvoyèrent que d’impures images. Il ferma les yeux ; mais, dans l’ombre, les images se multiplièrent, se précisèrent. Elles passaient de gauche à droite, cyniques, solitaires ou par troupes obscènes, disparaissaient, se renouvelaient sans cesse, plus nombreuses et plus harcelantes. Il voulut prier, implorer Jésus, la Vierge, sainte Anne, dont le sourire enfante les miracles, et Jésus, la Vierge, sainte Anne, ne se représentèrent que sous des formes d’irritantes nudités, d’abominables tentations qui venaient à lui, se posaient sur lui, enfonçaient dans son crâne et sous sa peau des griffes aiguës, déchireuses.

Au moins, s’il avait pu parler, s’il avait pu s’épancher dans le cœur d’un ami véritable, se vider du secret affreux qui l’étouffait, le dévorait ? Vingt fois, il l’eut sur les lèvres, comme une nausée, ce secret ; vingt fois, il fut sur le point de le confesser, de le crier à Bolorec. La honte le retint, l’insouciance déconcertante, l’ironique grossièreté de son ami le découragèrent. Hanté par cette idée fixe que Bolorec savait peut-être quelque chose, et, dans l’espoir que celui-ci l’interrogerait le premier, il se borna seulement à lui demander, de nouveau :

— Est-ce que je te fais horreur ?… Dis-moi si je te fais horreur ?

— Tu m’embêtes ! répondit Bolorec, qui s’était assombri, depuis qu’il ne voyait plus voleter dans l’air les blanches coiffes des femmes de son pays.