Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/216

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Vainement aussi, il s’efforça de s’abstraire de ce milieu trop proche de sa faute, trop directement mêlé à son péché, et de retrouver les calmes sensations, et les calmes figures d’autrefois. Il pensa à Pervenchères, à l’enfant tranquille, fort et gai, qu’il avait été jadis ; aux routes parcourues, à la forêt, si souvent visitée, à la rivière si pleine d’écrevisses. Il se rappela son père et son éloquence comique, et la solennité bouffonne de ses gestes, et son chapeau, dont la soie s’usait, chaque année, un peu plus, et qui, lorsqu’il en était coiffé, lui donnait l’air d’une caricature ancienne ; il se rappela encore François Pinchard et sa triste échoppe, la tante Rosalie et sa rigidité de cadavre, sur le grand lit blanc autour duquel veillaient les vieilles harpies. Mais heureux ou attristés, joyeux ou funèbres, tous ces souvenirs se dérobèrent. Une image, une seule image les dominait, les absorbait, Marguerite. Non pas même la réelle Marguerite de là-bas, déjà si troublante et si mystérieuse, avec son sarrau froncé et sa courte jupe de fillette ; mais la Marguerite de son rêve, dans le bois, la Marguerite du Père de Kern, dévêtue, violée, violatrice, le monstre impudique et pâmé aux lèvres qui distillent le vice, aux mains qui damnent. Alors, désespéré de chasser ces obstinées images, insensiblement, inconsciemment, il s’abandonna, tout à fait, à elles. La honte de les voir, le remords de les écouter, la terreur d’en sentir les frôlements ardents, d’en respirer les érotiques souffles, tout cela s’évanouit ; il se reprocha, ensuite, d’avoir si durement repoussé le Père de Kern, regretta la chambre, conçut l’espoir d’y retourner, d’y rester, d’y savourer les voluptés violentes qui