Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/236

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lesquels on ne voyait jamais rien de ce qui se passait, réellement, dans son âme, et qui s’illuminaient soudain de lueurs mystérieuses. Il s’arrêta aussi avec complaisance sur le pauvre Le Toulic, piochant sans relâche, tâchant de se faire pardonner, à force de travail, l’aumône de la pension, supportant héroïquement les cruautés de ses camarades, comprenant qu’il fallait redonner à sa mère inconsolée un peu de l’espoir détruit, un peu du bonheur perdu ; et il sourit à la vision disparue, si jolie, des deux sœurs, là-bas, sur la place ! Mais à côté de ces souvenirs doux, et de ces figures chères, rendus plus doux encore et plus chers par la parité du malheur, que d’odieux souvenirs, que de figures détestées ! Des camarades féroces et frivoles ; des maîtres indifférents et fourbes ! Le mensonge installé en maître ! Le mensonge des tendresses, des leçons, des prières ! Le mensonge partout, coiffé d’une barette et ensoutané de noir ! Non, les petits comme lui, les humbles, les pauvres diables, les anonymes de la vie et de la fortune, n’avaient rien à espérer de ces jeunes garçons, sans pitié, corrompus en naissant par tous les préjugés d’une éducation haineuse ; rien à attendre de ces maîtres, sans amour, serviles, agenouillés devant la richesse comme devant un Dieu. Qu’avait-il appris ? Il avait appris la douleur, et voilà tout. Il était venu ignorant et candide ; on le renvoyait ignorant et souillé. Il était venu plein de foi naïve ; on le chassait plein de doutes harcelants. Cette paix de l’âme, cette tranquillité du corps qu’il avait en entrant dans cette maison maudite, un vice atroce, dévorant, les remplaçait, avec ce qu’il apporte de remords, de dégoûts, de perpétuelles angoisses. Et tout cela s’ac-