Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/250

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a sur vous des desseins impénétrables ; c’est que, peut-être, vous êtes l’élu de quelque grande œuvre !… Oh ! ne doutez jamais, même au milieu des plus atroces souffrances, de l’infinie et mystérieuse bonté de Dieu ! Ne la discutez pas ; soumettez-vous… Quelques larmes que vous versiez, de quelque calice d’amertume que vous soyez abreuvé, élevez votre âme, et dites…

Et, montrant le ciel de son doigt levé, il récita avec un accent de religieuse inspiration :

In te, Domine, speravi, non confundar in aeternum.

Le Père demeura ainsi, plusieurs secondes, le doigt en l’air, le regard planté droit dans celui de Sébastien ; et, tout d’un coup, saisissant ses mains, attendri, chaleureux, presque larmoyant, il supplia :

— Promettez-moi de partir sans haine de cette maison ? Promettez-moi d’accomplir noblement ce sacrifice ?… Promettez-moi de garder, toujours, le silence sur cette affreuse chose ?

Sébastien n’avait jamais senti autant le mensonge peser sur lui… Mais il était trop brisé par les secousses morales, trop anéanti par les successives émotions pour s’en indigner. Il n’avait plus que du dégoût pour ce Père, le seul, pourtant, en qui, autrefois, il eût cru, le seul en qui il eût trouvé un peu de bonté ; il était écœuré de ces paroles graves qui s’accordaient si mal avec ce visage gras où, malgré tout, sous le masque changeant de la tristesse, de l’émotion, de l’enthousiasme, persistait un reste de bonne humeur insouciante et de jovialité comique, lesquelles, au fond, acceptaient l’infamie. Il répondit :