Aller au contenu

Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/252

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

rer, le supplier. Cette apparition ne le surprit ni ne l’émut. Depuis quatre jours, il s’était préparé à revoir son père et à subir ses reproches. D’un pas calme, il se dirigea vers lui pour l’embrasser. Mais M. Roch le repoussa d’un geste brutal.

— Misérable ! vociféra-t-il. Comment, misérable, tu oses ?… Ne m’approche pas… Tu n’es plus mon fils…

Sa colère était grande : ses cheveux gris et son collier de barbe s’en trouvaient hérissés, terriblement. Il bredouillait. Alors, Sébastien regarda le Père Recteur, calme, digne, son beau visage à peine fardé d’une légère émotion de circonstance. « Sait-il ? » se demanda l’enfant. Et il chercha à lire dans ses yeux, dans ces yeux pâles, où ne montait aucun reflet de sa pensée. M. Roch s’était remis à parler, la mâchoire lourde. Il débita, bégayant :

— Une dernière fois, mon Révérend Père, une dernière et unique fois, j’ose vous implorer !… Ce n’est pas à cause de ce misérable… Il n’est digne d’aucune pitié !… Non ! Non ! Mais moi !… C’est moi, moi seul que cela frappe !… Et je suis innocent, moi !… j’ai une situation, moi !… Je jouis de l’estime de tout le monde, moi !… Je suis maire, sapristi !… Qu’est-ce que vous voulez que je devienne ? Si près des vacances, que voulez-vous que je dise ?

— Je vous en prie, monsieur, répondit le Père Recteur… N’insistez pas… Ce m’est une douleur de vous refuser…

— Au nom de Jean Roch, mon illustre ancêtre !… supplia l’ancien quincaillier… Au nom de ce martyr qui mourut pour la sainte Cause.