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Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/292

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le secret de l’avilissement des hommes ! Par elle, le gouvernant et le prêtre perpétuent la misère au lieu de la soulager, démoralisent le cœur du misérable au lieu de l’élever. Les imbéciles, ils se croient liés à leurs souffrances par ce bienfait menteur, qui de tous les crimes sociaux est le plus grand et le plus monstrueux, le plus indéracinable aussi. Je leur ai dit : « N’acceptez pas l’aumône, repoussez la charité, et prenez, prenez, car tout vous appartient. » Mais ils ne m’ont pas compris. Faut-il l’avouer ? Ils ne m’intéressent pas autant que je voudrais, parfois, me le persuader. Souvent leur grossièreté me choque et me répugne ; et j’ai, au spectacle de certaines misères, d’invincibles dégoûts. Peut-être n’est-ce qu’une curiosité artiste, et par conséquent féroce qui m’a porté vers eux ? J’ai joui, bien des fois, des accents terribles, des déformations admirables, de la patine splendide que la douleur et la faim mettent sur les visages des pauvres gens. Du reste, je ne me sens plus porté vers l’action, et je n’envisage pas la perspective de mourir pour une idée, sur une barricade ou sur un échafaud, non par peur de mourir, mais par un sentiment bien autrement amer, qui s’empare, de plus en plus, chaque jour, de mon esprit : le sentiment de l’inutile. En tout cas, ces idées demeurent chez moi, à l’état spéculatif et intermittent. Elles me hantent, lorsque je suis enfermé dans ma chambre, désœuvré, ou par les temps moroses et les ciels pluvieux, et surtout, pendant les repas, à cause de la présence de mon père, qui est la négation complète de ce que je sens, de ce que je rêve, de ce que je crois aimer. Dehors, sous le soleil, elles s’évaporent comme