Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/36

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le condamnait son père. Étendue dans un fauteuil à roulettes, près de la fenêtre, un ouvrage de tricot en ses mains, la vieille fille occupait toutes les heures de son existence sédentaire à dire du mal des gens, à faire souffrir sa bonne qu’elle s’était attachée par des promesses d’héritage. Sa face grosse, molle et blanchâtre de vieille procureuse, ombrée sur le menton et sur les lèvres de quelques poils grisonnants, son œil égrillard et malicieux, le cynisme de ses propos gênaient Sébastien, demeuré très chaste, très ignorant, mais qui ne pouvait s’empêcher de rougir à des mots inintelligibles pour lui, et où cependant il devinait un sens coupable et des intentions honteuses. Souvent, il la trouvait entourée de ses amies, vieilles filles comme elle, paillardes et chattemites, comme elle obsédées de préoccupations obscènes, et, sous le couvert de la morale, de la vertu blessée, combinant des adultères locaux, imaginant des histoires polissonnes, parlant des amours de leurs chattes, répandant, autour d’elles, de fades odeurs de linge sale et de lit.

— Des Jésuites !… Il lui faut des Jésuites… criait la tante Rosalie à la vue de son neveu… Je vous demande un peu, à ce gamin !… Ah ! c’est moi qui t’aurais mis en apprentissage, mon garçon ! Des Jésuites !… Non ! Mais c’est incroyable !… Tout ça, pour faire des embarras, pour jouer au grand seigneur, pour montrer qu’on est riche !… C’est du propre… Et je lui conseille de se vanter de son argent, à ton père !… Quand on vend vingt sous une chose qui ne vous en coûte pas seulement deux !… C’est facile d’être riche !… Viens ici, toi, plus près !