Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/58

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res montrant, derrière les coteaux, des toits gondolés et des cheminées croulantes. Puis des villages sordides où grouillait une humanité bestiale, servile ; faces terreuses, haillons de misère, lentes et dolentes échines. Et des bois de chênes trapus, et des bois de pins rabougris, faisaient plus triste le triste jour, pleurant entre leurs sombres ramures. Plus loin, Sébastien vit des landes ; des landes pelées, dévorées par la cuscute, des pays de fièvre, maudits, à perte de vue, où rien de vivant ne semblait croître et fleurir, où les gramens eux-mêmes sortaient de la terre, déjà desséchés et morts. Des vaches squelettaires, des spectres de chevaux roux, au mufle barbu comme le menton des chèvres, erraient, sinistres, sur la pâleur vitreuse des flaques d’eau, paissaient l’illusoire pousse des ajoncs. Des moutons noirs tiraient sur leurs entraves, et, boitant, faméliques, tournaient en rond, sans cesse. De place en place, pareils à des animaux pétrifiés, des blocs de granit se dressaient, inquiétantes carcasses, évoquant des vies antérieures, des races disparues, les inachevées et fabuleuses formes des âges préhistoriques. L’œil, parfois, se rafraîchissait à de petites vallées vertes ; dans les fonds d’herbe grasse, sous des branches feuillues, passait la joie rapide des ruisseaux ; oasis vite franchies, vite oubliées, vite perdues en l’immense stérilité. Et l’haleine de la mort recommençait à charrier, dans l’atmosphère plus dense, les lourdes émanations paludéennes, et les tourbillons de poussière cosmique, larves invisibles de l’éternelle pourriture. Aux carrefours des routes, aux embranchements des traverses, tout d’un coup, surgissaient des calvaires difformes,