Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/78

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tes de clarté, de resplendissantes avenues d’eau firmamentale ; une surface immobile, rêveuse, attirante, comme était celle de l’étang de la Forge, dont, tant de fois, il avait exploré les rives herbues, et respiré, délicieusement, l’âpre senteur des fermentations paludéennes.

Sous les arcades du jeu de paume, le surveillant passait et repassait, d’un pas alenti, le nez sur son bréviaire. Sébastien accéléra sa marche, pensa à François Pinchard, à sa mère, et sortit de la cour, sans obstacle. Très calme, maintenant, il allait, les yeux fixés sur l’espace vide, dont on ne savait pas si le fond était de la terre solide, ou de l’eau remuante, et que le cirque noir des sapins emplissait d’un mystère d’abîme.

— Et si c’était la mer ! se dit-il encore, en son obstination d’enfant.

L’image du petit cordonnier le précédait, le conduisait :

— Hé ! Mayeux…

L’image souriait et il souriait à l’image.

— Quincaillier, hou !… hou !…

À mesure qu’il avançait, il ne percevait plus la résistance de la terre, sous ses pieds. Il marchait, comme en rêve, si léger qu’il se croyait soutenu, emporté par deux grandes ailes, au-dessus du sol. Un frère, à face de détenu, louche et crasseux, qui charriait du pain dans une petite charrette, le croisa. Il ne le vit point. Deux autres frères, à la bouche lippue, au regard souilleur d’enfants, le frôlèrent. Il ne les vit pas davantage. Il ne voyait plus rien, plus rien que l’espace, qui, lui-même, se brouillait, s’ennuageait, se transformait en blancheurs flottantes. Toute sa vie sensorielle,