Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/79

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déséquilibrée, affluait à son odorat. Des senteurs lui arrivaient aux narines, multiples, différentes et si fortes, qu’il faillit s’évanouir. L’atmosphère, comme dans une chambre fermée et remplie de végétaux, lui semblait lourde d’odeurs acescentes et de vénéneux parfums. Il respira, décuplés par la perception morbide exacerbée de ses nerfs, le souffle ammoniacal des terreaux, l’exhalaison carbonique des feuilles mortes, les arômes effervescents des herbes mouillées, le fleur alcoolisé des fruits. Sébastien dut s’arrêter, la gorge serrée, pâle, presque défaillant. Il avait dépassé le collège. À gauche, de petites constructions basses s’espaçaient ; et des jardins montaient en terrasse, jusqu’au parc ; à droite, une courte allée de châtaigniers, aboutissait aux communs, défendus par une palissade ; et derrière les communs, une prairie s’étendait, plane, unie, d’un vert argenté. Au milieu de la prairie, une nappe d’eau luisait, toute blanche, sans un reflet. Alors, Sébastien escalada la palissade, s’engagea dans l’allée, et voulut courir. Mais, soudain, deux Pères, qui se promenaient, lui barrèrent la route. Il s’arrêta, effrayé, poussa un cri.

— Eh bien ! eh bien !… qu’est-ce que c’est ?… On maraude, hein ?… dit l’un d’eux, d’un ton sévère.

Déjà il s’apprêtait à tirer les oreilles de l’enfant, quand frappé de sa physionomie étrange, de l’ivresse inaccoutumée qui brillait dans le mystère de ses deux prunelles, il reprit, plus doucement, en donnant à ses gestes une inflexion d’affectuosité rassurante.

— Voyons, mon petit ami, où alliez-vous ainsi ?

Sébastien fut remué par la douceur de cette