Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/91

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montraient, çà et là, leurs bordages imbriqués d’ignobles saumures et leurs coques de même couleur que le sol fangeux où elles s’embourbaient. Plus loin, Jean indiqua à ses compagnons le Saint-François-Xavier, un bateau tout blanc, un joli côtre élancé, à la fine carène, qui se tenait droit et fier, entre ses étais, son pavillon flottant au haut de la flèche. Les quais étaient presque déserts ; le paysage se fermait brusquement, sur un ciel très bas, en lignes de terres rigides, nues, d’une brutale horizontalité. Sébastien chercha en vain la mer. Il était consterné par cette immobilité, par ces choses couchées, tristes comme des épaves, par ces eaux mortes, et cette navrante vase dont l’odeur l’affadissait.

Lorsque, ayant quitté le port et traversé les tortueuses rues de la ville, ils débouchèrent dans la campagne, Jean de Kerral dit à Sébastien :

— C’est loin d’ici où tu habites ?

— Oh oui !… c’est loin ! gémit l’enfant qui, défiant et redoutant une scène douloureuse, n’osait répondre que par monosyllabes timides et soupirés.

— Moi, j’habite tout près, au château de Kerral, sur la route d’Elven, tu sais… Elven… où il y a une grosse tour… On y va quelquefois en promenade… Tu n’as pas de château, toi ?

— Non !

— Oh ! ça ne fait rien ! Bolorec non plus n’en a pas.

Les rangs s’étaient un peu débandés. Maintenant, une rumeur de voix piaillantes accompagnait le piétinement de la petite troupe en marche. Il reprit :