Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/94

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l’autre, tantôt par de larges talus boisés, tantôt par des éclats de granit fichés, droits et pointus, dans la terre. Ce n’était plus la lande plate, infinie de tristesse, tendant sur le sol infertile le velours chancreux de ses sombres tapis, larmés de l’argent pâle des flaques d’eau. Une vie multipliée germait dans les emblaves que les seigles naissants et les jeunes blés couvraient de gais frissons smaragdins. Dans le ciel, d’une douceur charmante, s’épandait une lueur fine, contenue, qui s’imprégnait au translucide tissu des nuages, tramés d’or laiteux et lavés de nacres légères. Et sous cette lumière tiède, infiniment diffuse, infiniment pénétrante, qui mettait des abîmes célestes jusque sur le tronc des arbres et la cassure des pierres, sous ces effleurantes caresses qui laissaient des mondes de joie reflétés jusque sur la fragile ellipsoïde des herbes, toutes les formes et toutes les couleurs chantaient. Ce qu’elles chantaient, Sébastien eût été incapable de le définir et de l’exprimer, mais il en savourait l’harmonieuse et presque divine musique, il en admirait l’harmonieuse et presque divine beauté ! C’était comme un mystère de résurrection qui s’accomplissait en lui, une extase auguste d’amour qui gonflait son être tout entier, de graves enivrements et de nuptiales délices, par quoi se célébraient les fiançailles de son cœur.

— Nous irons toujours ensemble à la promenade, dis ?… implora Sébastien.

Jean de Kerral répondit :

— Et nous jouerons toujours dans la cour ensemble, avec Bolorec.

— Je t’aime bien ! reprit Sébastien.

— Moi aussi, je t’aime bien !