Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/123

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Sganarelle

Hippocrate dit, et Galien, par vives raisons, persuade qu’une personne ne se porte pas bien quand elle est malade. Vous avez raison de mettre votre espérance en moi ; car je suis le plus grand, le plus habile, le plus docte médecin qui soit dans la Faculté vegetable, sensitive et minérale.

Gorgibus

J’en suis fort ravi.

Sganarelle

Ne vous imaginez pas que je sois un médecin ordinaire, un médecin du commun. Tous les autres médecins ne sont, à mon égard, que des avortons de médecins. J’ai des talents particuliers, j’ai des secrets. Salamalec, salamalec. Rodrigue, as-tu du cœur ? signor, si ; signor, no. Per omnia sæcula sæculorum. Mais encore voyons un peu.

Sabine

Eh ! ce n’est pas lui qui est malade, c’est sa fille.

Sganarelle

Il n’importe : le sang du père et de la fille ne sont qu’une même chose ; et par l’altération de celui du père, je puis connoître la maladie de la fille. Monsieur Gorgibus, y auroit-il moyen de voir de l’urine de l’égrotante ?

Gorgibus

Oui-dà ; Sabine, vite allez querir de l’urine de ma fille. (Sabine sort.) Monsieur le médecin, j’ai grand’peur qu’elle ne meure.

Sganarelle

Ah ! qu’elle s’en garde bien ! il ne faut pas qu’elle s’amuse à se laisser mourir sans l’ordonnance de la médecine. (Sabine rentre.) Voilà de l’urine qui marque grande chaleur, grande inflammation dans les intestins ; elle n’est pas tant mauvaise pourtant.

Gorgibus

Eh quoi ! monsieur, vous l’avalez ?

Sganarelle

Ne vous étonnez pas de cela : les médecins, d’ordinaire, se contentent de la regarder ; mais moi, qui suis un médecin hors du commun, je l’avale, parcequ’avec le goût je discerne bien mieux la cause et les suites de la maladie ; mais, à vous dire la vérité, il y en avoit trop peu pour asseoir un bon jugement : qu’on la fasse encore pisser.