Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/246

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Et quand je veux l’aimer, mon dessein vous déplaît,
Et je vous vois parler contre son intérêt !

Ascagne

Je le quitte, ma sœur, pour embrasser le vôtre :
Je sais qu’il est rangé dessous les lois d’un autre,
Et ce seroit un trait honteux à vos appas,
Si vous le rappeliez et qu’il ne revînt pas.

Lucile

Si ce n’est que cela, j’aurai soin de ma gloire ;
Et je sais, pour son cœur, tout ce que j’en dois croire :
Il s’explique à mes yeux intelligiblement.
Ainsi découvrez-lui sans peur mon sentiment,
Ou si vous refusez de le faire, ma bouche
Lui va faire savoir que son ardeur me touche.
Quoi ? Mon frère, à ces mots vous restez interdit ?

Ascagne

Ha ! Ma sœur, si sur vous je puis avoir crédit,
Si vous êtes sensible aux prières d’un frère,
Quittez un tel dessein, et n’ôtez point Valère
Aux vœux d’un jeune objet dont l’intérêt m’est cher,
Et qui, sur ma parole, a droit de vous toucher.
La pauvre infortunée aime avec violence ;
À moi seul de ses feux elle fait confidence,
Et je vois dans son cœur de tendres mouvements
À dompter la fierté des plus durs sentiments.
Oui, vous auriez pitié de l’état de son âme,
Connoissant de quel coup vous menacez sa flamme,
Et je ressens si bien la douleur qu’elle aura,
Que je suis assuré, ma sœur, qu’elle en mourra,
Si vous lui dérobez l’amant qui peut lui plaire.
Éraste est un parti qui doit vous satisfaire,
Et des feux mutuels…

Lucile

Mon frère, c’est assez :
Je ne sais point pour qui vous vous intéressez ;
Mais, de grâce, cessons ce discours, je vous prie,
Et me laissez un peu dans quelque rêverie.

Ascagne

Allez, cruelle sœur, vous me désespérez,
Si vous effectuez vos desseins déclarés.