Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/321

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Madelon

Hé ! il pourroit être quelque chose de ce que vous dites.

Mascarille

Ah ! ma foi, il faudra que nous la voyions. Entre nous, j’en ai composé une que je veux faire représenter.

Cathos

Hé ! à quels comédiens la donnerez-vous ?

Mascarille

Belle demande ! Aux grands comédiens de l'hôtel de Bourgogne[1] : il n’y a qu’eux qui soient capables de faire valoir les choses ; les autres sont des ignorants qui récitent comme l’on parle, ils ne savent pas faire ronfler les vers, et s’arrêter au bel endroit : et le moyen de connoître où est le beau vers, si le comédien ne s’y arrête, et ne vous avertit par là qu’il faut faire le brouhaha ?

Cathos

En effet, il y a manière de faire sentir aux auditeurs les beautés d’un ouvrage ; et les choses ne valent que ce qu’on les fait valoir.

Mascarille

Que vous semble de ma petite oie[2] ? La trouvez-vous congruente à l’habit ?

Cathos

Tout à fait.

Mascarille

Le ruban est bien choisi.

Magdelon

Furieusement bien. C’est Perdrigeon tout pur[3].

Mascarille

Que dites-vous de mes canons[4] ?

  1. On sait que les comédiens de l'hôtel de Bourgogne étoient jaloux des succès de la troupe de Molière, à laquelle ils cherchoient sans cesse à susciter des embarras. Cette tirade est donc une vengeance de notre auteur, qui se vengera de nouveau et d'une façon plus mordante dans l'Impromptu de Versailles.
  2. « Petite oye est ce qu'on retranche d'une oye quand on l'habille pour la faire rostir, comme les pieds, les bouts d'aile, le cou, le foye, le gesier. » (Trévoux.) C'est ce qu'on appelle aujourd'hui un abatis
  3. Perdrigeon étoit le fournisseur des gens à la mode.
  4. Canons, large bande d'étoffe ornée de dentelle, qu'on attachoit au-dessus du genou, et qui couvroit la moitié de la jambe.