Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/370

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Ma pitié pour Dom Sylve avait beau l’émouvoir,
J’en trahissais les soins sans m’en apercevoir.
Et mes regards au Prince, en un pareil martyre
En disaient toujours plus que je n’en voulais dire.

Élise
Enfin, si les soupçons de cet illustre amant,
Puisque vous le voulez, n’ont point de fondement ;
Pour le moins font-ils foi d’une âme bien atteinte,
Et d’autres chériraient ce qui fait votre plainte.
De jaloux mouvements doivent être odieux,
S’ils partent d’un amour qui déplaise à nos yeux.
Mais tout ce qu’un amant nous peut montrer d’alarmes,
Doit lorsque nous l’aimons avoir pour nous des charmes ;
C’est par là que son feu se peut mieux exprimer,
Et plus il est jaloux, plus nous devons l’aimer ;
Ainsi puisqu’en votre âme un prince magnanime…

Done Elvire
Ah ! ne m’avancez point cette étrange maxime !
Partout la jalousie est un monstre odieux ;
Rien n’en peut adoucir les traits injurieux ;
Et plus l’amour est cher, qui lui donne naissance,
Plus on doit ressentir les coups de cette offense.
Voir un prince emporté, qui perd à tous moments
Le respect que l’amour inspire aux vrais amants :
Qui dans les soins jaloux où son âme se noie
Querelle également mon chagrin et ma joie
Et dans tous mes regards ne peut rien remarquer
Qu’en faveur d’un rival il ne veuille expliquer.
Non, non, par ces soupçons je suis trop offensée,
Et sans déguisement je te dis ma pensée.
Le prince Dom Garcie est cher à mes désirs,
Il peut d’un cœur illustre échauffer les soupirs :
Au milieu de Léon, on a vu son courage
Me donner de sa flamme un noble témoignage,
Braver en ma faveur les périls les plus grands,
M’enlever aux desseins de nos lâches tyrans.
Et dans ces murs forcés mettre ma destinée
À couvert des horreurs d’un indigne hyménée ;